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Karine Boivin Forcier

SAGUENAY – La diversité et l’inclusion dans les milieux de travail sont devenues des incontournables en matière de gestion des ressources humaines. À l’intérieur de ce vaste spectre, il est un sujet dont on parle encore trop peu : la neurodiversité. Or, cette variété cognitive est déjà bien présente dans nos équipes.

« La neurodiversité, c’est un concept en évolution. Il y a le fait, soit la diversité neurocognitive au sein de l’humanité, ainsi que le mouvement et le paradigme. Ces derniers veulent s’éloigner de l’approche médicalisée et médicalisante, qui table sur la notion de déficit. Le mouvement de la neurodiversité nous amène dans un e perspective où la diversité est la norme de référence. Il y a plein de fonctionnements, chacun ayant des forces et des défis, et c’est par l’environnement que les situations de handicap peuvent se produire », résume Fran Delhoume, copropriétaire de la firme Nüense et formatrice et consultante en neuroinclusion.

Son associée Mélissa St-Louis, conseillère en ressources humaines agréée (CRHA), ajoute que le terme se calque sur celui de la biodiversité. « Dans la nature, on a besoin de toutes les plantes, de tous les animaux pour avoir un écosystème qui permet à la planète de survivre. C’est la même chose en ce qui a trait à la cognition humaine. On a besoin de plusieurs types de cerveaux pour résoudre toutes sortes d’enjeux que l’humanité pourrait croiser », précise-t-elle.

La neurodiversité constitue un continuum des différences neurologiques retrouvées chez l’être humain. « À l’intérieur de ce continuum, on peut avoir des profils qu’on peut considérer comme neurodivergents. Ce sont les personnes qui divergent de cette norme socialement établie », indique Mme St-Louis.

Contexte peu propice

Les deux femmes indiquent que les profils neuroatypiques représenteraient environ 20 % de la population générale. Cependant, la majorité des entreprises ont été construites en fonction de la norme. « Chaque humain va avoir des besoins qui lui sont propres. Par exemple, quand on a une serre, on va vouloir mettre l’environnement efficace pour chaque type de plante. On a bâti les organisations comme des champs de maïs. Sauf que tout le monde n’est pas un maïs », illustre Mélissa St-Louis.

Cette uniformité n’offre pas un contexte propice pour permettre aux personnes neurodivergentes d’accéder à leurs forces. Cela fait en sorte que, comme le rapportent différentes études, un haut taux de sous-emploi et de non-emploi (66 %) est constaté chez les neurominorités, malgré la diplomation, les aspirations professionnelles et les compétences.

Les statistiques présentées par les deux expertes démontrent aussi que jusqu’à 50 % des salariés neuroatypiques estiment que le dévoilement pourrait limiter leurs possibilités professionnelles ou avoir d’autres répercussions négatives. « Il se peut que la personne n’ait pas envie de le dire. De plus, par exemple, quelqu’un qui a un TDAH pourrait ne pas savoir qu’il en a un. Il y a souvent des diagnostics tardifs. […] C’est sûr qu’il y a déjà des profils neurodivergents dans les organisations, mais est-ce qu’ils le dévoilent ? Est-ce qu’ils le savent ? Est-ce qu’ils ont l’espace pour l’exprimer? », questionne la conseillère en ressources humaines.

Celle-ci explique qu’une personne neuroatypique pourrait ainsi choisir masquer sa différence pour garantir que personne ne le découvre dans son milieu de travail. « Évidemment, c’est très énergivore. Quand je suis en train de m’assurer que personne ne le remarque, je ne met pas cette énergie-là à être créative et productive », souligne-t-elle.

Entre ouverture et banalisation

Actuellement, il y a une ouverture par rapport à la neurodiversité dans les milieux de travail, mais cela cohabite avec une banalisation et une minimisation des handicaps invisibles. Il y a encore beaucoup d’a priori. « Ça ne se voit pas. Il faut constamment anticiper le risque que les autres ne le perçoivent pas et pensent que c’est une question de volonté. Par exemple, la mémoire de travail, c’est invisible et c’est souvent associé à des enjeux de performance. Il y a des raccourcis qui sont faits avec l’intelligence, alors qu’en fait ça n’a aucun rapport », fait valoir Fran Delhoume.

Mélissa St-Louis et elle se sont donc donné comme mission d’accompagner les organisations dans l’implantation d’une culture plus neuroinclusive, en se basant sur l’approche affirmative de la neurodiversité. « Nous sommes encore dans les balbutiements au Québec. Il faut sensibiliser au fait qu’il y a différents types de fonctionnement cognitifs, qu’il peut y avoir diverses manières de travailler ou d’approcher un problème. Ce n’est pas parce que c’est différent que ce n’est pas correct. […] On doit revoir la notion de performance. On peut fonctionner différemment et être performant. […] On peut contester cette norme. Est-ce que, parce que ça a toujours été fait comme ça, c’est la seule façon de faire ? Bien non ! », conclut Mme St-Louis.

NDLR.: Ceci est le premier texte d'un dossier paru dans notre journal d'avril. Pour retrouver les autres textes:

https://informeaffaires.com/regional/ressources-humaines/neurodiversite-un-potentiel-a-decouvrir

https://informeaffaires.com/regional/ressources-humaines/les-cles-pour-une-plus-grande-neurodiversite-en-entreprise

https://informeaffaires.com/regional/ressources-humaines/des-entreprises-locales-ouvertes-a-la-diversite

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