Auteur

Karine Boivin Forcier

SAGUENAY – Le fabricant de structures de bois La Charpenterie a entrepris un vaste projet d’automatisation de ses installations. L’implantation de ces nouvelles technologies lui permettra de réaliser un gain de 20 % en productivité.

L’entreprise, qui fabrique des fermes de toit, des poutrelles de plancher et des murs, investit quelque 4 M$ sur deux ans dans ce virage. Celui-ci a commencé à l’été 2023 et devrait se terminer en 2025. « Il y a d’abord toute la numérisation des données grâce à un système d’opération et de collecte de données qui touche l’ensemble de nos activités. Cela devrait être finalisé d’ici un mois ou deux. Ensuite, nous avons amélioré nos tables de production pour les fermes de toit. […] Ça nous donne une technologie qui est celle juste avant la robotisation », résume le président de La Charpenterie, Richard Létourneau.

La distinction principale entre les nouvelles tables de production et les anciennes, c’est que les gabarits se positionnent automatiquement en fonction du modèle, préalablement dessiné par ordinateur et entré dans le système. Des lasers viennent aussi indiquer à quels endroits positionner les différentes poutres de bois et les attaches métalliques. « Tout s’ajuste automatiquement. […] Tout se fait à l’écran. Nous n’avons aucun document papier dans l’usine », précise M. Létourneau.

Une fois les éléments en position, un rouleau se déplace sur la table pour enfoncer les plaques de métal dans les planches, puis la ferme de toit est transportée mécaniquement jusqu’à la zone où les produits sont accumulés et liés avant d’être entreposés. D’une longueur de 80 pieds, la table principale permet de fabriquer des fermes de cette longueur ou de travailler sur deux projets à la fois. Une deuxième table, plus petite, est dédiée aux modèles de dimensions plus limitées.

Des gains

Les bénéfices du virage 4.0 de La Charpenterie vont au-delà du simple gain en productivité, même s’il n’est pas négligeable. Richard Létourneau souligne que le projet ne vient pas diminuer les besoins de main-d’œuvre, mais permet de produire plus avec le même nombre de salariés. Cela facilite aussi leur travail, notamment en réduisant les aspects physiques des tâches.

« Cette technologie élimine les risques d’erreurs et les temps morts, en plus de réduire l’importance de la connaissance du milieu de la construction pour nos employés. Il y a 15 à 20 ans, quand les gens arrivaient, ils avaient une certaine expérience du domaine. Aujourd’hui, ce n’est souvent plus le cas. L’automatisation de nos unités de production vient compenser ce phénomène », explique le président.

Le système de collecte et de gestion des données assure quant à lui de récupérer un plus grand volume d’informations. « C’est une étape nécessaire pour l’automatisation et la robotisation. Nous serons capables de savoir quelles quantités de bois de quelle longueur ont été utilisées pour chaque projet, le temps que ça a pris pour réaliser la tâche, etc. Ça va nous fournir beaucoup plus d’exactitude que le faire à la main et ça nous permettra d’avoir plus d’informations pour prendre les bonnes décisions », mentionne M. Létourneau.

Prochaines étapes

Du côté de la fabrication des fermes de toit, presque tout le processus est automatisé. À la phase du sciage, la scie à cinq lames peut couper sur quatre côtés en même temps, toujours à partir des plans entrés dans la machine. Il reste toutefois à rendre autonome le transfert du bois dans l’appareil, actuellement réalisé par un employé.

L’entrepreneur désire aussi automatiser des étapes en amont. « Nous sommes en train de travailler pour installer un système automatique d’alimentation de bois. Cela remplacerait les lifts que nous utilisons présentement pour effectuer cette tâche. Il y aurait quand même une personne pour mettre le bois sur le dispositif, mais il serait ensuite transporté directement au sciage », dévoile M. Létourneau.

Virage technologique : une vision à long terme

SAGUENAY – C’est au milieu des années 2000 que La Charpenterie a commencé son virage vers la technologie. Une vision que le président de l’entreprise, Richard Létourneau, se réjouit d’avoir adoptée à l’époque.

« Honnêtement, ça a bien fait. On a bien prévu ce qui allait arriver. Ça valait la peine de le faire, parce que ça nous a permis de percer des marchés externes », affirme l’homme d’affaires.

Il faut se rappeler qu’à l’époque, les projections pour le secteur de la construction étaient pessimistes pour le Saguenay–Lac-Saint-Jean. Il était question de couper en trois ce qui se produisait dans la région. « On avait le choix entre rapetisser, avec les risques de fermeture que ça impliquait, ou bien se donner les moyens de nos ambitions. […] Nous avons alors décidé de produire pour pouvoir sortir de la région. Nous avons commencé à investir à partir de là. C’est à ce moment que j’ai acquis l’ancienne table de production, l’ancêtre de celle que nous venons d’acheter », révèle M. Létourneau.

Par la suite, des investissements réguliers ont été faits dans les différentes divisions de l’usine. La section de fabrication des murs a été agrandie deux fois. Du côté des poutrelles, un système de sciage automatisé a été implanté, puis bonifié à plusieurs reprises. Aux dires du président, les équipements sont à la fine pointe de la technologie. « Ça nous a permis de remplacer le volume que nous perdions ici par du volume externe, et même de l’augmenter », souligne-t-il.

Actuellement, plus de 50 % de la production réalisée par les quelque 110 employés demeure destinée au Saguenay–Lac-Saint-Jean, à la Côte-Nord et au secteur de Chibougamau-Chapais. Le reste est expédié ailleurs au Québec et aux États-Unis.

Répondre aux besoins

Avec l’augmentation de productivité récente, La Charpenterie ne vise pas à exporter plus, mais plutôt à répondre aux besoins de la province. Devant la crise du logement, Richard Létourneau estime qu’il devra y avoir une hausse des mises en chantiers. En effet, le magazine L’Actualité rapportait dans son numéro d’avril que le Québec aura besoin de 1,2 million de nouveaux logements, selon les prévisions de la Société canadienne d’hypothèques et de logements. Il faudrait ainsi bâtir 170 000 portes par année. Or, en 2023, il s’en est construit 38 900. Selon M. Létourneau, les projections pour 2024 seraient de 44 000 unités. « C’est nettement insuffisant ! Tout le monde s’entend là-dessus », commente-t-il.

L’entrepreneur affirme que les entreprises comme la sienne, qui fabriquent par exemple des murs pré-usinés et autres composantes de structure, font partie de la solution à cette crise du logement. « Avec nos produits, les gens sont capables de monter ce qu’on appelle le brut du bâtiment de façon beaucoup plus rapide. Dans un monde idéal, il ne faudrait plus édifier les murs directement sur le chantier de construction. Quand ils sont préparés d’avance, on sauve beaucoup de temps. Avec le même nombre d’employés, tu es en mesure de construire plus », fait-il valoir.

Changer de paradigme

L’enjeu, actuellement, c’est que les usines comme celles de La Charpenterie ne fabriquent pas toujours au maximum de leur capacité durant la saison froide, puisque la construction est au ralenti. Il faudra, pour résorber la crise du logement, changer les paradigmes de ce secteur et revoir les façons de faire. « Cet hiver, nous fonctionnions à 20 à 30 % de notre capacité. C’est ridicule. On doit réaliser qu’on est capable de construire, même en hiver, si les fondations sont faites. Ça va aussi prendre une meilleure coordination », indique Richard Létourneau.

Celui-ci considère qu’avant de penser à pousser plus loin le virage 4.0, en ajoutant la robotisation, il faudra que ses installations fonctionnent au maximum de leur capacité 12 mois par année. Il est toutefois sûr que cela va se concrétiser. C’est d’ailleurs déjà arrivé en 2020-2021. « Dans les 10 prochaines années, il va y avoir du volume », assure-t-il.

Si aucune autre expansion n’est prévue pour l’instant, La Charpenterie, qui utilise l’équivalent de quatre camions de bois par semaine pour sa production, voudrait greffer de nouvelles composantes à son offre. « Nous avons des projets pour nous permettre de faire plus dans la construction d’une maison », mentionne M. Létourneau, qui compte maintenant sur une équipe de relève bien en place depuis 2016. Elle est formée de Sonia Morneau, directrice générale, Sylvain Savard, directeur technique et des ventes, et Mathieu Létourneau, responsable maintenance et équipements.

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