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Karine Boivin Forcier

SAGUENAY – En matière d’aliments locaux dans les institutions, une volonté politique qui prend de l’ampleur depuis la pandémie, le Saguenay–Lac-Saint-Jean fait bonne figure. Nombreuses sont les entreprises agroalimentaires régionales qui vivent des histoires à succès et se positionnent sur ce marché.

« Il y a plusieurs entreprises de la région qui ont fait le pas vers ce marché. Pour le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS), on peut songer à Nutrinor, à Légupro, à la Fromagerie Perron, à Viandes CDS et à la Boucanerie d’Henri. Dans les services de garde, avec notre projet des Petits Ambassadeurs, il y a certains aliments coups de cœur que la plupart des établissements ont introduit. Je pense à l’avoine d’Olofée, à l’orge perlé de Céréales Normandin, qui est devenue Noasis, aux produits de Tournevent, aux farines de Cuisine Soleil et aux petits fruits. Nous sommes bien positionnés dans la région pour l’institutionnel, mais ça peut être encore plus selon moi », affirme Bénédicte Armstrong, conseillère en communication à la Table agroalimentaire Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Selon elle, la mise sur pied du programme des Petits Ambassadeurs, qui reconnaît les services de garde atteignant certaines cibles d’aliments locaux, en 2018 a véritablement changé la donne au sein des PME agroalimentaires. « Il y a beaucoup d’entreprises qui n’offraient pas de formats HRI (hôtellerie, restauration, institutions) et qui ont décidé d’en développer parce que ça leur permettait d’intégrer une trentaine d’institutions », précise Mme Armstrong.

Le programme a connu un tel succès qu’il est maintenant étendu à 15 régions. Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, quelque 30 services de garde ont obtenu leur certification.

Un potentiel énorme

Le réseau institutionnel, tant privé que public, représente des ventes de produits alimentaires de près de 2,4 G$ par an, selon les chiffres du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ). Au Québec, il existe actuellement une volonté politique d’augmenter la part du local dans cet approvisionnement, décrite dans la Stratégie nationale d’achat d’aliments québécois (SNAAQ) publiée en 2020.

Preuve de ce virage, le programme Aliments du Québec au menu – Institutions, qui offre une reconnaissance aux institutions qui proposent des aliments québécois dans leur menu, a vu sa popularité monter en flèche depuis la mise en place de la stratégie. « Il y a une évolution rapide. Nous avons connu une progression phénoménale et nous avons maintenant plus de 600 établissements adhérents », souligne la gestionnaire, Mathilde Laroche-Bougie.

Les possibilités de croissance sont donc énormes pour les PME agroalimentaires. « Avec la SNAAQ, ça fait en sorte que les responsables de l’approvisionnement dans les institutions ont plus d’ouverture et doivent respecter certaines cibles. À valeur égale, ils n’ont pas le choix de se tourner vers le local. Par exemple, si demain matin une fromagerie d’ici fait le même format, le même prix et la même offre que le P’tit Québec, ils devront le remplacer par le produit d’ici », illustre Bénédicte Armstrong.

Saisir les occasions

La conseillère en communication de la Table agroalimentaire estime que les entreprises du Saguenay–Lac-Saint-Jean ont tout intérêt à saisir les occasions d’affaires qui se présentent en lien avec le secteur institutionnel. « Ce sont des commandes qui sont régulières et des volumes récurrents, donc ça assure une sécurité pour l’entreprise. Ça offre une certaine stabilité », fait-elle valoir.

Pour ce faire, les PME ne doivent pas hésiter à s’ajuster ou à faire preuve d’innovation. Parfois, cela peut être une question d’ajouter des formats ou encore de créer de nouveaux produits. « Les entreprises qui réussissent le mieux, ce sont celles qui s’adaptent et qui viennent voir de quoi ont besoin les institutions. Ça représente des milliers de dollars en achats par année pour eux », mentionne Mathilde Laroche-Bougie.

Les deux femmes donnent l’exemple de Nutrinor, qui n’a pas hésité à innover pour percer le marché. « Cette coopérative a cocréé des produits, le Riz au lait et le Blanc Manger, expressément pour répondre à la demande des institutions de santé, et ce, partout dans la province. Il y avait un besoin du réseau de la santé. Nutrinor a saisi cette occasion et maintenant, ses produits sont servis dans toutes les institutions de santé du Québec », raconte Mme Armstrong.

Rapprocher l’offre et la demande

Le marché institutionnel peut toutefois parfois faire peur aux petites entreprises agroalimentaires. « C’est une énorme machine, qui est complexe, qui est quand même compliquée à comprendre. Nous avons constaté que plusieurs PME du Saguenay–Lac-Saint-Jean avaient l’impression que c’était trop gros pour elles ou ne savaient pas comment atteindre ce réseau », indique Bénédicte Armstrong.

Une fois le processus d’appels d’offres démystifié, il est cependant possible pour des entreprises de plus petite envergure de percer le marché. « C’est sûr que pour certains appels d’offres, ça prend du volume. Beaucoup d’autres peuvent être scindés entre plusieurs PME ou encore donnés de gré à gré. Le meilleur exemple, c’est le jerky de saumon fumé de la Boucanerie d’Henri qui est maintenant proposé dans les centres jeunesse de la région dans le cadre de notre projet avec le CIUSS [voir texte en p.2] », explique la conseillère en communication.

La Table agroalimentaire a d’ailleurs organisé un premier colloque sur la question en septembre afin de favoriser le maillage entre entreprises et institutions. De son côté, l’équipe d’Aliments du Québec au menu travaille à rapprocher l’offre et la demande. « Il y a beaucoup de collaboration avec les entreprises. Nous programmons des rencontres avec les institutions pour qu’elles puissent discuter pour adapter les produits. Nous établissons aussi des relations entre les producteurs et les distributeurs », conclut Mathilde Laroche-Bougie.

Le CIUSSS fait une place aux aliments locaux

SAGUENAY – Le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Saguenay–Lac-Saint-Jean travaille à faire plus de place aux aliments régionaux dans ses installations. Avec son projet Notre CIUSSS Boréal La santé durable au menu !, il se positionne comme précurseur en la matière à l’échelle provinciale.

« C’est vraiment la portée du projet, la mobilisation qu’il y avait avant même qu’il soit lancé qui fait que nous nous démarquons. Toutes les directions doivent travailler ensemble pour créer un modèle qui permet de voir l’impact du développement durable dans l’alimentation institutionnelle », explique Josiane Gagnon, chargée de projet Notre CIUSSS Boréal La santé durable au menu !.

Afin de prendre une petite bouchée à la fois, le CIUSSS a commencé la mise en place du projet par les centres jeunesse de Chicoutimi et de Roberval. L’accompagnement de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec, en collaboration avec Aliments du Québec et la Table agroalimentaire Saguenay–Lac-Saint-Jean, lui a permis d’obtenir la certification Aliments du Québec au menu pour ces deux établissements.

« Nous avons pu déterminer que 65 % des produits utilisés dans les services alimentaires de ces deux installations proviennent du Québec et que 23 % de l’ensemble de ces produits viennent de la région. Avec l’intégration de la Boulangerie du Royaume à nos fournisseurs, nous pensons pouvoir arriver à 66,4 % pour les aliments québécois et 26,4 % pour les marchandises régionales », indique Mme Gagnon. Pour les hôpitaux et CHSLD, les calculs sont en cours.

Distributeurs locaux

La chargée de projet indique que ces chiffres positifs peuvent être obtenus en raison de la provenance régionale et québécoise des distributeurs du CIUSSS : Colabor, Légupro, Viandes CDS, Nutrinor, la Fromagerie Perron, Coaticook et la Boulangerie du Royaume. « Nous venons tout juste de signer avec la Boulangerie du Royaume, qui remplace Western. Nous avons travaillé le contrat pour être capables de trouver des solutions aux enjeux qu’ils vivaient par rapport aux appels d’offres », révèle Josiane Gagnon.

La boulangerie du parc industriel de Jonquière avait entre autres une problématique en matière de distribution. « Pour nous, c’était difficile de livrer dans Maria-Chapdelaine. Le CIUSSS a donc fait un appel d’offres séparé pour ce secteur. Il a aussi limité le nombre d’établissements dans l’appel d’offres et la diversité de produits incluse. L’équipe a été vraiment à l’écoute pour permettre aux joueurs locaux de soumissionner », raconte Anne Marcoux, directrice de la Boulangerie du Royaume.

Pour l’entreprise membre de la coopérative Nutrinor, l’obtention du contrat avec le CIUSSS assure un revenu supplémentaire de 850 000 $ sur trois ans. « Ça représente environ 1 300 pains de plus par semaine. Ça consolide nos emplois. Nous pouvons aussi rentabiliser plus rapidement l’investissement que nous venons de réaliser pour les équipements d’ensachage et de tranchage », affirme Mme Marcoux.

Des défis

Même s’il est en bonne position, le CIUSSS aura plusieurs défis à relever pour augmenter la part des aliments régionaux dans son menu. Avec plus de trois millions de repas servis par année et un budget de 8,3 M$, le dossier demeure complexe. « Les contraintes sont multiples : l’entreposage, le territoire très vaste, la récurrence de la disponibilité des produits ainsi que l’organisation et la logistique du travail. Si on met un aliment au menu, il faut s’assurer d’avoir de l’accessibilité à l’année », souligne Josiane Gagnon. Il importe également de distinguer l’approvisionnement des menus.L’approvisionnement en denrées est le même pour tout le CIUSSS et est régi par des règles provinciales. Les repas créés à partir de ces produits diffèrent entre les centres jeunesse et les hôpitaux/CHSLD, puisqu’ils ne desservent pas les mêmes clientèles. Il faut donc arrimer ces deux sphères et il y a de nombreuses étapes à franchir pour y arriver.

Mme Gagnon donne l’exemple des bleuets. « L’an dernier, on s’est aperçus que nous n’avions pas de bleuets régionaux au menu. Mais ce n’était pas possible d’en avoir, parce que Colabor, notre distributeur de fruits congelé, ne les avait pas dans sa liste. Déjà, nous avons dû en ajouter sur le menu. Ensuite, il a fallu négocier avec Colabor. Maintenant, nous avons un bleuet régional, mais il est empaqueté à Boucherville. La prochaine étape, ce serait d’avoir une congèlerie locale qui pourrait nous le livrer directement, tout en respectant les contrats que nous avons. »

Travailler en synergie

Afin d’en arriver à un système d’alimentation institutionnelle durable dans la région, la chargée de projet rappelle l’importance de travailler en synergie. « Nous sommes en train de mettre en place une façon de favoriser tous les distributeurs, producteurs et transformateurs locaux qui souhaitent faire affaire avec nous. C’est en processus », mentionne Josiane Gagnon.

En attendant, à l’échelle des centres jeunesse, quelques essais sont réalisés. À Roberval, la ferme le Maraîcher du 1er rang va apporter des légumes pour les potages de l’installation. « Nous pensons que c’est faisable d’élargir à l’hôpital, par exemple, mais il faut attacher les ficelles avec tout le monde. »

À Chicoutimi, la Boucanerie d’Henri a intégré cet été le menu du centre jeunesse avec son jerky de saumon fumé, utilisé pour les bols poké. « Nous avions participé à un salon avec la Table agroalimentaire l’an dernier et c’est là que nous avons pu rencontrer des représentants du CIUSSS. Nous avons travaillé le dossier avec Josiane. Notre jerky de saumon fumé, que nous réalisons en déshydratant notre saumon fumé, est un produit très protéiné, un critère important pour les menus pour les jeunes », relate Josée Harbour, propriétaire de la Boucanerie d’Henri.

Selon elle, cette première collaboration avec le CIUSSS ouvre des portes sur d’autres centres jeunesse du Québec. « Ce n’est pas notre plus gros client, mais ça nous fait connaître. C’est une belle visibilité et un achat local qui a de l’impact », conclut-elle.

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