Auteur

Karine Boivin Forcier

N.D.L.R. Le texte qui suit fait partie d’un dossier rédigé dans le cadre du cahier thématique dont le thème est : Le secteur forestier en changement, publié dans notre édition du mois d'avril.

SAGUENAY – L’envergure exceptionnelle des feux de forêt de 2023 a suscité une prise de conscience par rapport à l’impact que peuvent avoir les changements climatiques sur cette ressource naturelle. Le constat est clair : le Québec doit adapter ses pratiques forestières pour les rendre plus résilientes à l’égard des transformations à venir.

Même s’il est impossible de dire qu’il y aura systématiquement des feux de forêt records dans le futur, le contexte de changements climatiques réunit les conditions qui favorisent les probabilités de ce type d’événement. « Ce qu’il faut voir, c’est que nous trouvons en ce moment que la température est inhabituellement chaude. Mais dans les années 2040-2050, le climat de l’année dernière est celui qu’on va retrouver plus souvent. Les gens vont devoir adapter leurs pratiques et leurs équipements en fonction de cette nouvelle réalité », indique Claude Villeneuve, professeur, co-directeur de la Chaire en éco-conseil à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) et co-directeur de Carbone Boréal.

Celui-ci rappelle que les changements climatiques ont commencé à se manifester depuis plusieurs années, notamment avec des hivers plus doux. Pour l’industrie forestière, cela a entraîné des impacts en ce qui a trait aux conditions d’abattage et de transport des arbres, obligeant les entreprises à faire évoluer leurs techniques. « Les ponts de glace ne sont presque plus utilisés aujourd’hui. Les chemins forestiers sont souvent arrachés par des crues soudaines. Et les feux sont également un enjeu, même s’il y a eu très peu d’incendies au cours des 10 à 15 dernières années, à l’exception de 2023 », mentionne-t-il.

Les transformations de la météo pourraient aussi perturber la saison de travail, comme on l’a vu l’an passé, ou nécessiter des modifications aux équipements ou aux scieries. « Il y a des conséquences sur les usines qui reçoivent du bois brûlé. Il faut adapter certaines machines. Ça prend des systèmes de filtration plus efficaces pour traiter les particules de suie et éviter qu’elles affectent les travailleurs. […] En cas de canicules, les équipements en forêt n’ont pas forcément de climatisation. Il pourrait être nécessaire d’effectuer les travaux de nuit », illustre M. Villeneuve.

La forêt change

Les impacts des changements climatiques se font déjà sentir sur la forêt boréale. Ainsi, au nord, les arbres se trouvant dans la zone de la limite des arbres, généralement plus petits, sont en train de prendre de l’expansion. « Il y a des endroits où on ne voyait pas d’arbres et où il commence à y en avoir de plus en plus. La partie nord de la limite des arbres se colonise » souligne Claude Villeneuve. Au sud, on assiste à un envahissement par les feuillus.

Au centre, le portrait est moins clair, selon le chercheur. Lorsque les perturbations (feux, épidémies, etc.) se succèdent rapidement, cela peut amener des accidents de régénération, créant des landes forestières. « Dans ces cas, certaines espèces d’arbres n’ont pas le temps d’avoir de graines pour recoloniser après. La forêt va alors s’ouvrir pour devenir une lande forestière. Celles-ci ne se referment pas. Ça demeure des forêts non productives », révèle M. Villeneuve. Selon le site de Carbone Boréal, une augmentation de ces zones a été constatée au cours des 50 dernières années.

Possibilité forestière

Sur le long terme, la répétition de plusieurs années comme celle de 2023 pourrait mener à des réductions de la possibilité forestière. Cette dernière correspond, pour une unité d’aménagement donnée, au volume maximum des récoltes annuelles de bois par essence ou groupe d’essences que l’on peut prélever tout en assurant le renouvellement et l’évolution de la forêt. Le calcul s’effectue sur 150 ans.

Les incendies ont plusieurs effets sur ces possibilités forestières. Ils peuvent entraîner la diminution de la superficie admissible à la récolte à certaines périodes de l’horizon de calcul ou réduire la superficie des peuplements productifs s’ils entraînent des échecs de régénération. « Les forêts brûlées, en se régénérant naturellement, vont prendre 50 à 80 ans avant d’être prêtes à couper », fait remarquer Claude Villeneuve.

Il ne faut pas oublier que d’autres perturbations peuvent se joindre aux feux de forêt. On peut penser, par exemple, aux épidémies comme celle de la tordeuse des bourgeons de l’épinette ou aux épisodes de chablis, plus localisés. En 2023, ce sont 2 % de la superficie destinée à l’aménagement forestier qui ont été affectés par les brasiers.

C’est pourquoi, afin d’assurer la pérennité de la forêt, le Forestier en chef, Louis Pelletier, a recommandé une révision à la baisse de la possibilité forestière dans les unités d’aménagement dont plus de 5 % de la superficie a été affectée par les feux de 2023. Pour les autres, l’impact sera pris en compte lors du prochain calcul, en 2026. « Le portrait forestier change quand il y a une perturbation naturelle et il faut en tenir compte. L’objectif, c’est d’assurer la pérennité de la ressource », conclut-il.

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